Quand on parle d’innovation technologique en médecine, on pense souvent en premier lieu à la cyber santé et en particulier aux appareils qui permettent de mesurer des fonctions telles que la tension artérielle ou la glycémie : par exemple des bracelets, des chaussures, des lentilles de contact ou des T-shirts équipés de senseurs ultrasensibles. On trouve aussi des harnais « intelligents » pour la rééducation des patients atteints de troubles moteurs, ou des drones avec un défibrillateur embarqué. Sans parler des quelque 100’000 applications en rapport avec la santé que l’on peut télécharger sur iTunes ou Google Play. Toutes ces innovations se font à la faveur du développement des technologies informatiques, des senseurs médicaux et des outils diagnostiques.
Mais il existe un autre volet de l’innovation médicale qu’on aurait tendance à oublier, selon le professeur Antoine Geissbuhler, médecin-chef du Service de cyber santé et télémédecine des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) et vice-doyen du département de radiologie et informatique médicale de la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Il s’agit des idées novatrices émises par les personnes impliquées dans les soins. « Cela peut être, par exemple, une nouvelle manière d’organiser la visite médicale », explique-t-il. D’où la création d’un centre de l’innovation aux HUG inauguré ce printemps. « Nous voulions montrer à l’ensemble de nos collaborateurs que nous étions intéressés par leurs idées en créant un lieu où ils peuvent les présenter en sachant qu’ils seront écoutés et aidés. Le personnel représente un vivier d’innovation incomparable. »
Il se trouve que la Suisse « est placée très haut dans le classement mondial en matière d’innovation médicale ». Environ 50’000 personnes travaillent dans ce secteur dans le pays, et plus de 10’000 brevets ont été déposés en une décennie dans ce domaine par des inventeurs suisses. Dans l’arc lémanique, la « health valley » abrite près de mille entreprises de technologie médicale, ainsi que les grands centres académiques que sont l’EPFL, les HUG, le CHUV et le CSEM. D’importants groupes internationaux comme Medtronic et Zimmer ont choisi la Suisse pour leurs sites de R&D. Avec des prévisions de croissance environ quatre fois supérieures à celles du reste de l’économie, le secteur représente plus de 22 milliards de francs suisses pour une valeur ajoutée brute de 11 milliards, soit 2 % du PIB. La Suisse possède une longue tradition en matière d’innovation médicale, grâce aux pionniers de l’horlogerie et de la mécanique de précision.
Une douzaine de projets sont actuellement en cours de développement au centre de l’innovation des HUG. Parmi les plus enthousiasmants, Antoine Geissbuhler cite un cycloergomètre permettant aux patients hospitalisés dans une unité de soins intensifs de faire de la gym. « Mais il y a aussi des choses très simples, comme une pièce qui permet de clipper le berceau d’un bébé au lit de sa maman », déclare-t-il. Enfin, une partie de l’innovation est vouée à la médecine humanitaire. Exemple : l’échographe portable et incassable, dix fois moins cher qu’un appareil traditionnel, destiné aux médecins de brousse. Ou le dépistage du cancer du col de l’utérus via smartphone, un cliché des tissus utérins pouvant être transmis à un centre de lecture. Cette forme de télémédecine, dite télé- expertise, connaît un fort développement, de même que la télésurveillance. En revanche, la télé-chirurgie, c’est-à-dire le pilotage à distance d’un robot chirurgical, relève encore de l’exploit technique et de l’expérimentation dans certains pays.
Un bémol enfin, en ce qui concerne les applications pour smartphone : « Leur potentiel est encore passablement fantasmé car, pour l’instant, seule une minorité d’entre elles sont réellement utiles et utilisées dans le domaine de la santé. Elles sont souvent séduisantes, mais si les gens n’y voient pas un intérêt notable, ils s’en lassent au bout de quelques mois. Toutefois, certaines joueront un rôle important dans la médecine de demain », affirme Antoine Geissbuhler.