L’essentiel en bref:
On dit d’un médecin qu’il a une pratique non économique lorsque son indice statistique dépasse de 30% la moyenne des confrères qui composent son groupe de comparaison. Si le dépassement n’est pas très élevé, le médecin reçoit de la part de santésuisse un premier avertissement. En revanche, si le dépassement est important, ou si le médecin a déjà reçu un avertissement, santésuisse exigera du praticien qu’il s’en explique, soit par écrit, soit en le convoquant pour un entretien. Si ces échanges informels ne permettent pas de montrer que la pratique du médecin concerné est conforme au principe d’économicité ou si aucun accord à l’amiable n’est trouvé, santésuisse initiera alors une procédure en restitution des prestations en saisissant le Tribunal arbitral des assurances du canton où le médecin a sa pratique. Pour le praticien, il est donc important de comprendre, dès le premier avertissement, les raisons pour lesquelles les indices statistiques de santésuisse le situent au-dessus de la «norme» qui résulte de son groupe de comparaison, afin de satisfaire aux demandes d’explications de santésuisse et de se défendre efficacement si nécessaire.
De l’avertissement à la procédure en restitution
En l’état de la pratique et de la jurisprudence, un médecin est considéré comme étant «hors normes» – et donc comme ayant une pratique non économique – lorsque son indice statistique (issu de la méthode statistique utilisée par santésuisse) dépasse de 30% la moyenne des confrères composant le groupe de comparaison (c’est-à-dire s’il a un indice de 130 ou plus).
En règle générale (notamment si l’indice n’est pas excessivement élevé), le médecin recevra d’abord un avertissement sous forme de lettre explicative l’informant du rôle de santésuisse dans le cadre du contrôle du respect du principe d’économicité, de la méthode utilisée, et du fait que son indice apparait trop élevé en comparaison de celui de ses confrères. Si le dépassement allégué est très important, ou qu’un avertissement a déjà été envoyé et qu’un nouveau dépassement est identifié, santésuisse enverra généralement une lettre informant le médecin de ce dépassement et lui demandant de s’en expliquer par écrit dans un certain délai. Santésuisse peut également le convoquer à une séance dans ses locaux ou dans ceux d’un assureur membre de la faîtière.
Si ces premiers échanges informels ne permettent ni de convaincre santésuisse du fait que la pratique du médecin concerné est conforme au principe d’économicité, ni de trouver un accord amiable, santésuisse – agissant comme représentant des assureurs ayant payé des prestations au médecin lors de l’année concernée par le contrôle – initiera une procédure en restitution des prestations en saisissant le Tribunal arbitral des assurances du canton où le médecin a sa pratique.
A noter que dans certains cantons, notamment dans les cantons de Vaud et de Fribourg, une commission paritaire instituée par convention entre la faîtière des assurances et la société de médecine cantonale est chargée de tenter de résoudre le litige avant avant que le Tribunal arbitral ne soit saisi. Cette commission est composée à parité de représentants du corps médical et de représentants des assureurs, et généralement présidée par un magistrat.
Sur le fond, même si la complexité et, tout bien considéré, l’opacité du fonctionnement de la méthode statistique (notamment de la nouvelle méthode dite de «l’indice de régression»), constitue à elle seule un argument pour contester le bien-fondé de demandes de restitution de la part des assureurs, cet argument n’est pas propre à convaincre santésuisse de renoncer à entreprendre des démarches contre le médecin attaqué. Cet argument n’a, en définitive, de véritables perspectives de mettre à mal les prétentions des assureurs qu’au stade de la procédure judiciaire devant le Tribunal arbitral des assurances ou les instances supérieures (étant rappelé qu’en l’état actuel de la jurisprudence, la pertinence de la méthode est admise par le Tribunal fédéral). L’expérience montre ainsi qu’il est généralement plus efficace de favoriser une discussion de fond sur les spécificités de la pratique du médecin, plutôt que de refuser d’entrer en matière en contestant la pertinence des chiffres de santésuisse (ce qui n’exclut bien entendu pas de remettre en cause la méthode en parallèle et de formuler des demandes de précisions quant à son fonctionnement et à sa capacité de saisir, dans le cas concret, les spécificités de la pratique du médecin qui sont invoquées).
Chercher d’où vient l’erreur
Il est important que, dès les premières démarches de santésuisse, le médecin interpellé entame une réflexion approfondie sur les raisons qui peuvent expliquer que les indices statistiques de santésuisse le situent au-dessus de la «norme» qui résulte de son groupe de comparaison. Même au stade du premier avertissement, sans invitation à fournir des explications, le médecin interpellé sera bien avisé de procéder à une analyse attentive de ses données (généralement fournies en annexe au courrier de santésuisse) pour déterminer, dans la mesure du possible, quels sont les postes qui induisent une hausse de l’indice, et tenter d’en déterminer la raison. Cette analyse permet parfois au médecin de rapidement identifier une particularité ou des particularités qu’il sait le différencier de ses confrères. De plus, un tel examen en amont, déjà après avoir reçu un avertissement, permet au médecin de garder à l’esprit cette problématique l’année suivante et peut aussi l’amener à être plus attentif aux spécificités de sa pratique, de manière à ce que, si l’année suivante santésuisse l’interpelle à nouveau en lui demandant des explications, il dispose déjà des principaux éléments de réponse et soit en mesure de les exposer de manière argumentée et, le cas échéant, documentée.
Le plus tôt le médecin peut apporter des réponses à santésuisse en amenant des éléments pertinents pour expliquer un dépassement de son indice, meilleures sont les perspectives de convaincre rapidement santésuisse de la conformité de sa pratique avec le principe d’économicité. Il importe également, dans toute la mesure du possible, d’invoquer d’emblée toutes les particularités expliquant potentiellement le dépassement. D’une part en effet, santésuisse fait généralement montre de plus de souplesse lors de la phase des discussions informelles, notamment en ce qui concerne les exigences quant à la preuve des spécificités qu’il invoque. Lors des premiers stades de la procédure, santésuisse aura ainsi plus tendance à s’en remettre aux explications du médecin, sans forcément demander une preuve stricte des spécificités invoquées et de leur influence sur les coûts. D’autre part, le fait de se prévaloir de certaines spécificités seulement à un stade avancé de la procédure présente le risque que les explications correspondantes soient interprétées comme des prétextes, invoqués pour les besoins de la cause. Or, comme il est parfois difficile de prouver l’existence et l’étendue des particularités invoquées, avoir une position cohérente et crédible dès le début de la procédure présente une certaine importance.
Parmi les particularités susceptibles de justifier une pratique plus onéreuse, le Tribunal fédéral a notamment retenu les suivantes: le fait de traiter un nombre supérieur à la moyenne de patients nécessitant un traitement intensif, de pouvoir se prévaloir d’un nombre de visites à domicile supérieur à la moyenne, d’une proportion très élevée de patients étrangers, les cas dans lesquels un médecin traite de nombreux patients âgés et de patients de longue date, et peu de patients pris en urgence, ou encore le fait de s’être installé récemment. Dans certains cas, il a également été tenu compte des économies compensatoires liées à la pratique du médecin, lorsque celui-ci pouvait démontrer que les coûts élevés de sa pratique s’expliquaient par ses méthodes de traitement certes onéreuses, mais générant comparativement moins de coûts indirects que celle de ses confrères. Un cas est par exemple celui du médecin qui génère certes des coûts directs élevés, mais peut démontrer que ses méthodes de traitement, comparativement, permettent d’éviter de nombreuses hospitalisations.
Il ne s’agit que d’exemples, de nombreuses autres particularités pouvant expliquer que les chiffres d’un médecin soient plus élevés que la moyenne de son groupe de comparaison.
Procédure judiciaire
On constate toutefois une tendance de santésuisse à être de plus en plus réticente à accepter les explications fournies par les médecins, au prétexte que les spécificités de la pratique invoquées seraient déjà prises en compte par la méthode statistique utilisée (censée intégrer les facteurs liés à l’âge, au sexe et, dans une certaine mesure, à la morbidité de la patientèle). Le médecin, s’il refuse d’entrer en matière sur un remboursement, ne pourra donc pas toujours éviter une procédure judiciaire devant le Tribunal arbitral des assurances de son canton. L’un des enjeux de la procédure judiciaire sera souvent d’obtenir du tribunal qu’il accepte d’ordonner une expertise analytique de la pratique du médecin, consistant à analyser un échantillon aléatoire de dossiers de patients de ce médecin afin de déterminer, concrètement, s’il en ressort des indices de polypragmasie. La pratique des tribunaux arbitraux est toutefois restrictive à cet égard, et il convient d’argumenter très minutieusement en apportant des preuves tangibles de particularités pertinentes afin de convaincre les arbitres que, dans le cas d’espèce, la méthode statistique de santésuisse pourrait avoir abouti à des résultats erronés ou non significatifs.
Compte tenu des enjeux et de la complexité des différentes étapes d’une procédure en restitution d’honoraires, il est fortement recommandé au médecin de prendre conseil rapidement –dès qu’il reçoit un avertissement ou, à tout le moins, dès qu’il est interpellé pour fournir des explications. Les associations faîtières cantonales sont généralement à même de fournir certaines informations. Le recours aux services d’un avocat spécialisé sera toutefois souvent nécessaire. Les médecins sont en principe couverts par une assurance de protection juridique qui prend en charge ce type de litige. La couverture peut cependant varier d’une assurance à l’autre (notamment en ce qui concerne la franchise ou le plafond de couverture), et il est conseillé de se renseigner en amont pour s’assurer qu’elle soit aussi large que possible. La couverture des frais de défense par une assurance permettra ainsi au médecin de ne pas avoir à se soucier de cet aspect supplémentaire, et de mettre en place une défense efficace dès les premières démarches de santésuisse.